C'est toujours intéressant de découvrir les adresses d'Alain Ducasse. Sa dernière création : Sapid, un restaurant voulant mettre en avant sa "naturalité" mais qui manque singulièrement d'humanité et de chaleur...
Par Arnaud Morisse
Le discours officiel fleurait bon l'école de commerce : "95 % de ce que vous allez manger sera légumes et céréales, et un peu de protéines animales issues de la mer, de poisson de pêche durable, en assaisonnement, donc il n'y aura que 5 % de protéine animale. Tout ça pour être précautionneux de la santé l'individu qui consomme et précautionneux de la planète, précautionneux de votre portefeuille, précautionneux d'un endroit d'un endroit délicieux tout en deuxième usage." Ha ! cette novlangue délicieuse qui ne veut pas parler "d'occasion" mais pudiquement de "deuxième usage". C'est vrai, en troisième usage, c'est niet ! Faut pas pousser quand même ! Mais Ducasse restera Ducasse, alors quand une nouvelle adresse ouvre - Ici Sapid - il convient d'y faire un tour car le monsieur sait tout de même de quoi il cause et sait flairer l'air du temps.
Pour Sapid, pas de réservation possible. Je m'y rends donc un lundi midi au pif, en espérant ne pas me voir refoulé. Ouf ! Pas de queue à l'extérieur, bon signe. Une jolie vitrine campagnarde avec de la transparence et du bois donnent une impression d'épicerie écolo.
Mais une fois rentré, changement de ton. Là, on fait la queue pour commander à des bornes type McDo. Oui, oui. Voilà une arrivée abrupte dans un monde sans chair au service et dans les assiettes donc, puisqu'ici, on mange plutôt végétarien. Il y a quand même une personne très souriante qui accueille pour nous dire comment utiliser leur MO5 tactile... Quelle horreur ! Franchement, j'ai hésité à rebrousser chemin en voyant ça. On passe sa commande donc sur un grand écran tue l'amour, on paye (29,90€), on donne son petit nom quand même et on trouve une place où s'asseoir dans cette salle qui ressemble à un "réfectoire" ou plutôt une cantine avec ces grandes tables. Heureusement quelques tables hautes plus individuelles existent aussi. J'en vois une de libre, je fonce ! Las, le tabouret bringuebale, et je manque de tomber plus d'une fois. Je suis tendu pour ne pas choir.
Au bout de même pas 2 minutes, ma commande est servie, tout sur le même plateau... vraiment cantoche quoi.
Premier jeu : reconnaître les plats commandés. Grâce au basilic, je trouve l'Aubergine rôtie, moutabal, noix et basilic. Voilà une entrée légère, aux saveurs pas vraiment marquées, mais qui passe bien. C'est un peu décevant pour de l'aubergine qui peut bien mieux goûter que ça. Mais bon !
Pour le vin, c'est pareil : on a affaire à une machine... Tristesse du moment, où l'on se trouve devant elle et que l'on doit insérer une carte qui nous est donnée et se verser un godet de passetouthrain de Tapenaut-Merme, pas mal du tout. Dommage de ne pas proposer des vins plus "nature" ici... mais bon.
Ha oui ! j'oubliais ! Le pain ici, ça se paye ! Du pain de riz sans gluten, et avec lequel il est impossible de saucer... tout est gagnant !
Pour le plat (tiède) : Carottes étuvées, bolognaises de lentilles, toum. Pour la présentation, on ne s'ébahit pas, mais au goût voilà un plat très sympa ! Bien parfumé, avec une belle fraîcheur, je mange avec plaisir ! Pas mal !
Pas évident de reconnaître le dessert : Nectavigne marinée, breuil de brebis, vin de verveine en gelée. J'y suis parvenu par défaut... C'est très original au moins ! Et là, je ne m'y attendais pas, mais qu'est-ce-que c'est bon ! Whaou ! Les "pêches" ont un goût formidable, qui s'accorde avec le sel du breuil, et le vin en gelée vient apporter une belle complexité. Pas trop sucré, terriblement gourmand, une belle et franche réussite !
Sapid montre qu'on peut aller vers une alimentation plus végétale tout en gardant du goût et de la gourmandise. J'ai même plutôt bien mangé pour une trentaine d'euros. Dommage de ne pas proposer ça dans un vrai restaurant, avec des vrais gens, dans une vraie salle avec de vraies tables... Un service aussi déshumanisé et dans une ambiance froide signe un grand veto pour Sapid qui ne m'y verra plus jamais mettre les pieds.
Sapid
54 Rue de Paradis
75010 Paris (métro poissonnière)
tel : 06 31 90 87 73 (Pas de réservation)
Les +:
_ chouette cuisine végétale
_ coup de coeur pour le dessert !
_ pas trop cher
Les -:
_ les bornes pour commander, quelle horreur !
_ le pain (qui ne permet pas de saucer) à payer en supplément
_ l'ambiance cantine froide voire glauque
_ tout dans un plateau façon fast-foodo-cantoche