[ Edit 22/03/22] : L'Auberge Nicolas Flamel a gagné sa première étoile Michelin.
C'est dans la maison Nicolas Flamel (dans laquelle il n'a d'ailleurs jamais vécu) qu'est logiquement logée l'Auberge du même nom. Pignon historique de la capitale, le chef Grégory Garimbay y poursuit aujourd'hui une tradition vieille de 600 ans entre ces murs : celle de (très) bien recevoir au restaurant. Un nom à retenir pour les échéances de Mars prochain.
Par Robin Tireloque
Dans l'étroite rue de Montmorency, un pan de mur détonne. La pierre qui vêt le numéro 51 semble regorger d'histoire(s); nous sommes chez Nicolas Flamel. Plus vieille maison de Paris, elle abrite au rez-de-chaussée et au premier étage un restaurant, qui a notamment vu éclore Alan Geaam, toujours propriétaire des lieux. C'est au tour de Grégory Garimbay d'y œuvrer depuis quelques mois, et ce chef mosellan, bien que peu médiatisé, va nous prouver qu'il est pétri de talent.
Nous pénétrons par une porte en bois majestueuse dans la première salle, et sommes accueillis par un sourire du chef. La déco s'avère minimaliste laissant la part belle aux éléments d'époque (poutres et escaliers en bois). Tables, chaises et canapés ne colorent que très peu la pièce, le ton est neutre. La cuisine ici est complètement ouverte, et l'on peut y entendre tout ce qui s'y passe. Au dessus de la cuisine, la devise "Cuisine d'instinct, cuisine d'instant"... tout un programme!
Assis confortablement, l'on nous tend une carte, pleine de bonnes idées. Il y a là la possibilité d'un menu prédéfini en 4 ou 5 temps (70/90€) ou de piocher dans les entrées, plats et desserts du chef. Les tarifs sont en ligne avec ceux d'un restaurant gastronomique, nous nous attendons donc à un beau repas (spoiler alert : ce sera le cas).
Les mises en bouche arrivent, au nombre de trois: une brioche pesto / citron caviar; un tartare de veau / parmesan présenté dans un os; ainsi qu'un tartare d'algue et riz soufflé, lui dans un coquillage.
Bien que la petite brioche soit assez quelconque, les deux autres propositions s'avèrent très réussies, avec comme maître mot l'équilibre. Les bouchées sont riches en textures avec des goûts maîtrisés. C'est bon.
Sitôt nos premières bouchées finies arrive un autre amuse bouche, lui d'une taille tirant plutôt sur celle d'une entrée. Il s'agit d'un velouté de laitue, dans lequel nagent kiwi rouge, baies d'églantier et croûtons. Encore une fois, l'équilibre des saveurs est très réussi. Quelques petits bémols, comme la poudre de piment en surface qui peut faire tousser, et un léger manque de croustillant n'empêchent pas le plat de plaire. C'est une nouvelle fois bon.
Les choses sérieuses commencent avec une assiette mêlant poireau, pomme de terre ratte (ici émulsionnée) et l'ail noir (en sorbet), magnifique à regarder.
J'essaie à tout prix d'éviter les jeux de mots faciles autour de l'alchimie, mais il faut dire qu'ici, il y en a! Entre l'émulsion gourmande, le poireau mariné et réhaussé d'une belle vinaigrette à la moutarde et l'ail qui apporte fraîcheur et punch, c'est difficile de ne pas mettre en avant les belles transformations apportées aux produits. Les équilibres sont parfaits, en saveurs comme en textures. C'est très bon, au niveau de tables étoilées.
Avant de passer à la suite, une parenthèse service. Notre voisin de tablée s'enquiert d'une question sur la cuisson sur un de ces plats à sa serveuse. Problème solutionné en moins de 30 secondes: la salle et la cuisine communiquent à merveille, et la brigade également. Un chef qui sait réagir vite et se remettre en question, et un service en salle qui est au diapason: bien que nous ne parlions plus d'assiette, cela doit être souligné.
Parenthèse close, puisque la pêche du jour a été généreuse et nous ramène un homard bleu de Bretagne. La bête est nappée d'un jus des têtes, et accompagnée par des blettes et des chanterelles, cuit dans un beurre de homard.
Fan inconditionnel du crustacé, c'est une assiette que j'ai trouvée superbe: légumes et champignons sont sublimés par la cuisson, tout en gourmandise; le homard est parfaitement cuit; et le jus est d'une profondeur intense. C'est ce qui peut gêner d'ailleurs, pour toute personne n'aimant pas le homard, car nous sommes sur une proposition très marquée en goût.
Une assiette classique (au sens noble) et extrêmement bien maitrisée : c'est très bon.
Ce n'est pas fini néanmoins, puisqu'une fois nos assiettes saucées (preuve accablante dans l'image ci-dessus), la tête du crustacé nous est présentée juchée sur une petite assiette. En la retournant, l'on constate qu'une gelée y a été déposée : homard, blette, citron. Contraste absolu avec l'assiette précédente, la gelée est fine et fraîche et vient délicatement nettoyer le palais. Une vraie réussite.
Une jolie poularde s'invite ensuite sur notre table. Pas n'importe laquelle, puisque c'est une Culoiselle. Habituée des très grandes tables, elle est aujourd'hui habillée d'un triptyque d'épeautre (risotto, tuile et émulsion), et se pare également d'un beau jus brillant, d'artichaut et de quelques pouce-pieds.
C'est un plaisir à la découpe, la volaille s'avère être très bien cuite, et tous les éléments se marient à merveille. Seul le pouce-pied est épris d'une soudaine timidité, et sa puissance iodée aurait gagné à être plus marquée.
L'assiette se complète d'une seconde, plus petite, contenant du jambon de la cuisse, ainsi que du foie et d'un gésier de la volaille. Comme pour le premier plat, une volonté du chef d'aller jusqu'au bout du produit et de tout servir. Même si cela aurait peut-être mérité plus d'originalité, tout est bien fait.
On continue sur une belle lancée, c'est bon.
Tout repas mérite fromage (ce n'est pas une citation, mais ça pourrait l'être), et nous nous en accordons donc une assiette (15€ par personne, et que l'on peut partager pour les plus petites faims!).
Le plateau est bien construit dans la variété, même s'il demeure moins imposant que les plateaux de fromages de plus grandes maisons. Il y en a cependant pour tous les goûts. Nous partageons comté, hercule pyrénéen et fromages de chèvre. De très bons produits, accompagné d'un pain qui mériterait d'être encore meilleur.
Déjà plutôt repus, il nous reste encore à conquérir les deux dernières assiettes.
Un pré-dessert tout d'abord, autour des lentilles et de la vanille. L'association marche bien, donnant des notes quasi-chocolatées à l'ensemble. Un vrai goût de reviens-y sur une assiette tout en équilibre, malgré un léger manque de texture (pour pinailler). C'est bon.
On nous promet ensuite le plat signature de la maison, autour du chocolat et des champignons. Aujourd'hui, ce sont des trompettes de la mort.
Nous trouvons dans l'assiette une brioche feuilletée aux champignons, des trompettes surmontant des biscuits et leur crème chocolat, et une glace chocolat/champignons.
C'était un grand dessert. L'harmonie qui a l'énoncé peut ne pas sauter aux yeux, est une absolue évidence au coup de fourchette. Sans trop de sucre, laissant la part-belle aux saveurs , difficile de faire mieux pour clore un repas.
La glace chocolat / champignon est l'expression même de l'équilibre en cuisine: les deux éléments s'identifient, se mêlent, se marient... un délice rare.
C'est excellent.
Quelques mignardises viennent confirmer la patte de la pâtissière (Francesca Ronco) avec un granola bar / caramel au vin rouge ainsi qu'une sucette roquette / passion, à tremper dans une belle crème au raisins. Définitivement au niveau du reste du repas, bravo.
On passe ensuite à la caisse, 253€ pour deux avec 5 services (hors amuses bouche et mignardises), deux très bons verres de vin - il y a des options moins chères - et l'option fromage en plus.
Un total de restaurant gastronomique pour un repas qui le justifie entièrement: l'Auberge Nicolas Flamel sauce Garimbay fait honneur à ses lieux. Jusqu'aux étoiles?
Auberge Nicolas Flamel
51 rue de Montmorency
75003 Paris (Métros Etienne Marcel, Rambuteau, Arts & Métiers)
Tel : 01 42 71 77 78
Fermé les dimanche et lundi
Les +:
_ Une cuisine d'auteur affirmée
_ Des produits sublimes et sublimés
_ Service souriant, disponible
_ Un menu cohérent, homogène en qualité avec quelques coups de génie
_ Les lumières idéales pour les photographes en herbe :)
Les -:
_ Un peu bruyant en bas comme avec toute cuisine ouverte. C'est plus calme en haut, même si on loupe le spectacle du passe.
_ Déco minimaliste (mais on ne peut pas tout se permettre dans un monument historique). Les lumières pourraient être moins fortes, pour pinailler.