[Edit du 18/01/21] Marsan a reçu -enfin- sa deuxième étoile de la part du Guide Michelin.
[Review du 09/07/2019] Après Joïa, Hélène Darroze a rouvert sa maison qui était jadis étoilée, avec de grandes ambitions. Elle a fabriqué un cocon à son image, programmé pour gagner.
D'habitude dans un restaurant, on est installé, on nous donne la carte, on choisit, les plats arrivent, on les mange, on paye et pis c'est tout. Chez Hélène Darroze, c'est une toute autre histoire. Sa nouvelle table, Marsan, espère récolter des macarons Michelin, alors, manger là-bas relève de "l'expérience totale". Le Guide Rouge qui cherche de la cuisine d'auteur à l'image des chefs, va être servi ! Du Hélène Darroze par-ci, du Madame Darroze par-là... On se croirait dans un mausolée tout entier dédié à sa personne où la communion serait gastronomique.
Tout d'abord, on arrive, on fait le tour de la maison, jusqu'aux commodités si "plus tard" on peut en avoir besoin. Salons privatifs, cuisine ouverte (ce midi pas de cheffe à l'horizon...), et grande bibliothèque remplie d'objets variés. C'est Hélène qui se raconte à coups d'objets souvenir.
Une fois installé à l'étage avec force afféteries, dans une vaste salle qui ne compte que 8 tables rondes, j'attends. Sur la table, un caillou, un gobelet déformé vide et une "assiette" à la forme étrange. Voilà, voilà, voilà.
Les dames du service, habillées tout en noir façon veuves du XIXème siècle sont cordiales. L'une d'elle vient remplir mon godet difforme avec une eau de concombre et estragon car "madame Darroze m"invite à me rincer le palais". Alors, si madame Darroze veut, je m'exécute. On me précise que l'encoche a été spécialement pensée pour y glisser son pouce. C'est vrai, c'est pratique ça ! Le liquide est très parfumé et fait du bien au gosier.
Pas de serviette à table, mais on vient gentiment me la déposer sur mes cuisses, au cas où j'aurais eu du mal à le faire moi-même.
Puis, je vois arriver un chariot à champagne de l'autre bout de la pièce, poussé à 2,5km/h par un jeune homme, le sommelier de la maison. Il me propose gentiment des bulles, mais n'ayant rien à fêter, je l'éconduis. Il repart, pas plus vite, c'est long.
Ha ! Le menu ! Enfin ! Pas question d'espérer manger avec des tickets restaurant ici, ou alors il va falloir plusieurs souches ! Trois services : 75€. Pas de choix, c'est imposé. Quatre services : 95€, là on choisit le plat et le dessert parmi deux propositions.
Sinon, on peut opter dès le midi pour le grand jeu du menu dégustation, avec la totale en 9 services à... 225€ (sans le vin évidemment!).
J'opte pour le 4 services, raisonnable le garçon ! L'amuse-bouche fait son entrée : rillettes d'anguille fumée et citron. Je dois dire que c'est délicieux, et je gobe ces deux bouchées avec entrain ! J'attends avec impatience la suite !
Les dames en noir débarrassent et demandent à chaque fois si ça été à mon goût, en se penchant de sorte à me regarder dans les yeux à hauteur, très proche... Détecteur de mensonges? Oui, oui, c'était bon !
Dépose des couverts. On me raconte l'histoire du petit caillou repose-couteaux. Oui, car vraiment ici, chaque élément a son histoire. Alors, on nous en raconte à foison, toujours à base de "madame Darroze"... J'avoue que la répétition est rude.
La première entrée arrive, et c'est très joli : Maquereau, gaspacho de tomates green zebra, courgettes trompettes, basilic. Il y a de la couleur ! Une grande chips de tapioca (façon chips crevette de certains restos...), des herbes, des fleurs, des courgettes crues de toutes les couleurs, et un filet de poisson coupé en morceaux. C'est généreux ! Etonnant pour ce genre de restaurant ! Au goût, c'est plutôt bon, même si ce n'est pas renversant.
Pas de pain. Donc pas sauçage. Je suis un peu triste.
Au moment de débarrasser, on re-dépose mon couteau sale ! Quoi? Scandale ! Ce n'est pas changé à chaque service ! Appelez-moi le directeur, il va entendre du pays !
Mais en fait, il y a aussi une histoire autour du couteau... Et c'est reparti pour un coup de story telling... Tout ça pour dire qu'on garde le même couteau tout au long du repas, mais à chaque plat, on viendra me l'essuyer... bah oui, il n'y a pas de pain à table...
La deuxième entrée : Ravioles de Lena, lard de colonnata, herbes. Trois belles ravioles avec des artichauts, des herbes et du gras de cochon. Que ça hume bon ! C'est à nouveau bien servi pour ce genre d'endroit. Et c'est délicieux ! Les goûts sont puissants et très réconfortants. Rien d'original, mais c'est bon. Vraiment.
Allez hop, essuyage de couteau, étape suivante !
Ha ! Le pain ! EN-FIN ! A ce moment du repas c'est l'étape jeu comme dans un dîner presque parfait (la marque Top Chef?) : il y a du beurre au piment d'Espelette, certes, et aussi un truc blanc avec deux feuilles de thym frais dessus. Je dois deviner ce que c'est en tartinant avec modération me précise-t-on un toast chaud de pain Poilane. Là encore une histoire à raconter... Je vous l'épargne.
Bref je goûte. C'est du gras qui a le goût de thym. La dame en noir me soumet à la question. Elle a l'air sévère. moi jeune élève. Maîtresse, ne me tapez pas s'il vous plaît ! Elle me donne des indices quand même, elle est sympa la maîtresse finalement. Je parviens à conclure qu'il s'agit de... graisse de canard au thym. Ha... J'ai bien joué, et la maîtresse m'a dit "bravo", alors je suis content. Et surtout j'ai un morceau de pain maintenant.
C'est l'heure de passer au plat : Canard de Challans rôti au miel de bruyère, navets, pollen, whisky. A la commande, une des dames en noir m'avait bien demandé si la cuisson rosé me convenait. Là, je dois dire que c'est plutôt bleu. Mais bon, cru ça m'aurait aussi convenu! Le morceau de viande baigne dans un jus sombre qui sent bon. En accompagnement, des mini-navets saupoudrés de pollen. Le tout fonctionne bien, surtout la sauce ! C'est très bon, même si une nouvelle fois, je navigue en territoire connu de saveurs.
Je sauce ! Alleluïa !
Puis, comme au début, un chariot qui couine traverse la longue, très longue salle. C'est le fromage. Tout du sud ouest, et pas très connus. Mais il n'y en que 5. J'avoue ne pas avoir tout compris à la dame en noir qui avait un fort accent espagnol et qui a fait la retape de son plateau en évoquant l'origine de chaque frometon. J'ai dit non. Elle est repartie penaude. C'est toujours long.
Tiens, changement de serviette pour le dessert. On échange mon beau linge par un petit carré de 30cm de côté. Le dessert arrive : Fraises Mariguettes, yaourt grec, poivre rouge de Kampot. C'est a priori un hybride entre les gariguettes et les maras des bois. On n'arrête plus le progrès ! A côté un truc avec de la meringue, de la chantilly et à l'intérieur une boule de glace... à la fraise. Bref, le peu de poivre saupoudré au dessus ne change rien à la donne de ce bon dessert, mais aux saveurs 100 000 fois goûtées.
Pour le café, deux madeleines chaudes à l'huile d'olive. Très légères, elles sont très bonnes. Et le café est lui aussi très bon. 7 euros.
Pour ce qui est du vin, j'ai laisser le sommelier me conseiller un verre de vin rouge. Il doit un peu s'y connaître, il y a deux ans il a gagné des prix de meilleur jeune sommelier de France. Il avait 18 ans alors. J'ai donc le droit à un grand verre de Pinot noir d'Oregon, Kelley Foxe Wines 2015. 20 euros le verre pour ce bon vin, au nez floral magnifique mais pas exceptionnel en bouche.
Ensuite, c'est les mignardises : chocolats au caramel au coeur coulant, pâtes de fruits sureau et rose et nougats pistaches. Mais pour y avoir le droit, il faut se lever. Je ne vois pas bien ce que ça apporte, mais bon...
A l'heure de l'addition, c'est l'angoisse, vais-je avoir de mauvaises surprises? Non, 122€ pour ce déjeuner au décorum taillé pour les étoiles. Ce Marsan défend une cuisine juste et sans surprise, et vise à valoriser l'expérience à base de "story telling" à répétition. Du Hélène Darroze, on en mange, encore et encore, quitte à avoir une indigestion. Mais ça peut plaire aux inspecteurs Michelin ces histoires. En tout cas, si en décembre cette table n'obtient pas au moins une étoile, ce serait étonnant.
Marsan
4 Rue d'Assas
75006 Paris
Tel : 01 42 22 00 11
Fermé le samedi et le dimanche
Les +:
_ service fignolé façon luxe qui peut rappeler mes années jeu de rôles...
_ une cuisine qui n'effraie pas et reste dans des limites connues
_ Très belle déco
Les -:
_ le pain qui n'arrive qu'au plat !
_ le story telling incessant, c'est pesant
_ Pas eu de plat incroyable qui m'aurait fait regretter de ne pas avoir pris le menu dégustation